Grandeurs et faiblesses des Traités internationaux
Jacques Bordé (Vice-président de Pugwash-France, ancien Directeur de recherche au CNRS) et Götz Neuneck (Président de Pugwash-Allemagne, ancien Directeur adjoint de l’Institut de Recherche sur la Paix et la Sécurité de l’Université de Hambourg)
On prête au Professeur Jean Bernard, le célèbre médecin humaniste, la citation suivante : « Les Traités internationaux ont trois caractéristiques communes : ils sont généreux, ils sont vagues et ils ne sont jamais appliqués ! ». C’est un jugement évidemment un peu caricatural, à l’emporte-pièce, mais il y a une part de vérité qui amène à s’interroger sur la nature et l’efficacité des Traités internationaux. Cette interrogation est d’autant plus opportune qu’on constate actuellement que nombre de Traités sont remis en cause par les grands Gouvernements, particulièrement dans le domaine des armements. On peut se demander : « Quelle signification doit-on accorder à ces remises en cause ? Quelle est la nécessité de les conserver à tout prix, de les amender, de les remplacer par d’autres ? Quelle importance ont-ils pour stabiliser l’équilibre géopolitique précaire dans lequel se trouve le monde d’aujourd’hui ? ». Après quelques considérations générales sur les Traités comme mécanismes de paix, nous nous limiterons aux principaux Traités concernant les risques associés aux armes nucléaires.
Considérations générales sur les Traités Internationaux
On ne peut demander trop aux Traités car ils sont signés par des Etats qui, souvent, ne cherchent que leur propre intérêt ; il y a sans doute autant de motivations pour arriver à un Traité qu’il y a de parties signataires et chaque Etat ne veut surtout pas perdre trop de sa souveraineté nationale tout en donnant l’impression aux autres parties qu’il leur fait des concessions importantes. Ceci est probablement à l’origine du caractère « vague et généreux » de la rédaction de certains Traités. Le côté « généreux » étant plus évident dans les Traités liés au Droit Humanitaire, Jean Bernard, comme médecin éthicien, pensait vraisemblablement à ces Traités à but humanitaire qui mettent la générosité avant la souveraineté nationale et qui sont donc régulièrement violés dans les conflits.
Traités liés aux armements
Pour les Traités liés aux armements, on constate aussi de nombreuses causes de faiblesse. Outre les imprécisions de la rédaction concernant la nature des armes, les moyens de vérification de la mise en œuvre et l’absence de sanctions en cas de violation, il y a une cause plus fondamentale : l’impossibilité de prévoir les avancées technologiques. Les Traités, comme la Loi en général, sont ainsi toujours en retard d’un métro sur les découvertes scientifiques. L’évolution du contexte géopolitique, avec l’émergence de nouvelles puissances et la mondialisation, poussée également par les nouvelles technologies, est un autre défi pour les Traités internationaux.
Le cas des armes nucléaires
La construction de l’édifice des Traités Internationaux liés aux armes nucléaires (débutée dès 1946 avec la 1ère Résolution de l’ONU) a été très laborieuse, en perpétuelle évolution, et c’est cette architecture qui menace de s’effondrer en grande partie aujourd’hui. La complexité de cette construction s’est progressivement accrue avec le fait que les armes sont maintenant des systèmes d’armes qui vont du combustible au système de commandement en passant par les têtes nucléaires, les missiles et autres vecteurs, les moyens de communications ; il faut en outre différencier
a) la puissance des armes (stratégiques ou tactiques),
b) leur finalité (défensive ou offensive),
c) la portée de leur vecteur,
d) leur distance à la Terre (armes dans l’espace ou non).
Tous ces composants des systèmes d’armes nucléaires subissent des évolutions technologiques majeures, avec, par exemple, le perfectionnement technique des missiles hypersoniques et la généralisation du numérique intégré dans chaque composant. En outre les frontières entre les armes nucléaires et les autres armes sont moins nettes et les armes nucléaires sont davantage en interaction avec les autres systèmes d’armes : avec les armes conventionnelles (depuis la réintroduction des armes tactiques qui devraient créer un continuum entre les armes stratégiques et les armes conventionnelles, comme le supposent certains États), ou bien encore avec les missiles (qui peuvent être nucléaires ou non), avec les armes cyber (à cause de la numérisation des systèmes de guidage et de communications), enfin avec les armes dans l’espace.[1] La nouvelle course aux armements nucléaires ne porte plus aujourd’hui sur leur nombre mais sur leurs améliorations et sur la complexité technologique des nouveaux systèmes d’armes intégrés.
Modification de la situation géopolitique
S’ajoute aujourd’hui, pour repenser les Traités, le fait de devoir intégrer la situation géopolitique actuelle fort différente de celle de la guerre froide, quand les Traités actuels ont été élaborés. On le voit notamment avec le Traité FNI (sur les Forces Nucléaires Intermédiaires), conçu pour résoudre un problème typiquement européen : il s’est effondré non seulement pour des questions de nouvelles armes mais aussi pour des raisons de « nouvel ordre mondial », parce que la Russie et les USA supportent mal les contraintes de ce Traité alors que le problème concerne maintenant aussi l’Asie et que la Chine n’a pas les contraintes du Traité FNI.
Contraintes des traités mal tolérées
En fait la Russie et les USA supportent mal les contraintes de tous les Traités existants à cause de cette mondialisation qui rend le monde plus dangereux à leurs yeux puisqu’on n’est plus dans un jeu à deux partenaires qui se connaissent assez bien mais dans un jeu multipartenaire plus difficile à équilibrer, où chacun joue à un jeu différent (la Russie aux échecs, les USA au poker et la Chine au GO). Après le FNI et Open Skies, on voit donc le Traité sur les essais, le TICE, fragilisé, de nouveau, par les menaces américaines (les USA ne l’avaient pas ratifié mais le respectaient) et on constate une absence de motivation pour renouveler le Traité New Start. Avec la modernisation des armes nucléaires décidée par les Etats dotés, le pilier des Traités sur le nucléaire, le TNP, présente si peu d’espoirs dans son évolution que cela a conduit à la genèse du TIAN (le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires), lui-même peu prometteur pour un désarmement immédiat, pour un monde rapidement exempt d’armes nucléaires. La situation mondiale concernant l’abolition des armes nucléaires semble donc dans une impasse grave.
Comment s’en sortir ?
Elaborer de nouveaux Traités et renforcer les contrats existants.
Il est important de ne pas baisser les bras et de faire en sorte que les Etats négocient de nouveaux Traités. La première vertu de cette négociation est d’établir un dialogue structuré entre les dirigeants. Pour les y inciter, l’opinion publique joue un rôle crucial et on dit que tous les Traités Internationaux importants sont dus à une impulsion venant d’organismes issus de la société civile.
C’est l’intérêt principal du TIAN de pouvoir sensibiliser les opinions publiques à la nécessité d’abolir les armes nucléaires par le côté humanitaire de ce Traité : le TIAN, élaboré après trois Conférences mondiales sur l’impact humanitaire des explosions nucléaires, est très proche dans l’esprit des Traités de Droit Humanitaire ; il est moins proche des Traités stratégiques entre Etats.
A supposer que cela marche et que les Etats s’engagent dans la voie d’élaborer une nouvelle architecture de Traités mieux adaptés au monde multipolaire actuel et aux armes nouvelles, il reste le défi que les futurs Traités soient des Traités forts, ce qui est loin d’être gagné (mais qui n’est pas impossible).
Plusieurs conditions à cela, notamment que les conditions de vérification pour toutes les parties contractantes, de manière égale et transparente par le biais d’exigences de rapports continus, soient bien explicites, ainsi que les possibilités de sanctions en cas de manquement.
A cet égard, le TIAN est faible et risque ainsi de n’être qu’un Traité « généreux, vague et jamais appliqué ». Le contrôle des armements et de la non-prolifération est ce qui doit être mis en priorité pour interdire efficacement les armes nucléaires et leur usage; commencer par l’interdiction sans préciser les moyens de vérification ni les sanctions risque de rester un vœu pieux ! Mais, aujourd’hui, définir les moyens de vérification efficace nécessite de solliciter la recherche scientifique dans beaucoup de domaines : de la physique à la sismologie en passant par la chimie et l’informatique. [2]
Le Traité New Start doit être prolongé de cinq ans et cette période doit être utilisée pour des négociations sérieuses et structurées sur le contrôle des armements entre les États-Unis et la Fédération de Russie. Pendant cette période, les deux États ne devraient pas créer de nouvelles armes nucléaires (stratégiques).
Améliorer les mécanismes de paix mondiale.
Il ne faut néanmoins pas tout attendre des Traités et Accords pour être certain d’échapper à une guerre nucléaire. Le danger que des armes nucléaires puissent être utilisées a certainement encore fortement augmenté.[3]
Comme le disait déjà le Manifeste de Russell Einstein en 1955 : « Quels que soient les accords sur la non-utilisation de la bombe H qui auraient été conclu en temps de paix, ils ne seraient plus considérés comme contraignants en temps de guerre, et les deux protagonistes s’empresseraient de fabriquer des bombes H dès le début des hostilités ». L’essentiel est donc d’éviter à tout prix les guerres ; cela passe par un renforcement des mécanismes de paix, des moyens d’accroître la confiance pour réduire les risques, stabiliser la crise et éviter une guerre par accident ou par erreur de calcul.[4]
Les États du P5 doivent organiser un dialogue ouvert et structuré, assurer la transparence de leurs arsenaux nucléaires et discuter des nouvelles menaces envers la stabilité stratégique.[5] Là aussi, il faut faire un effort considérable de recherche car on n’a pas encore mis en place un système de gouvernance mondiale efficace qui serait compatible avec la souveraineté des Etats.
Conclusion
En l’absence d’un Droit International fonctionnant bien auquel on pourrait faire confiance pour régler pacifiquement les conflits entre Etats et d’un système d’arbitrage reconnu par tous, le système de Traités Internationaux est incontournable comme il l’a prouvé pour les armes nucléaires pendant la guerre froide en favorisant le désarmement et la non-prolifération.
Les Traités de cette époque ont montré dans plusieurs situations leurs limites dans le monde actuel plus compliqué car multipolaire et il faudra aux Traités d’aujourd’hui, encore indispensables car les Institutions internationales restent faibles, des caractéristiques qui doivent les rapprocher de ce qui fait force de Loi : des possibilités réelles de vérification et de sanctions.
Alors les Traités de contrôle des armements et de leur utilisation seront de véritables tremplins vers la résolution pacifique des conflits et le recours à la force sera restreint aux cas d’extrême nécessité, justement pour faire respecter les Traités avec l’accord de tous.
En outre, les mécanismes et mesures pratiques de réduction du risque nucléaire, de contrôle des armes et du désarmement ainsi que la prévention de leur prolifération sont indispensables pour éviter la reprise de l’utilisation des armes nucléaires, 75 ans après les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Il est essentiel que les chefs d’État et de gouvernement européens, l’Union européenne et les voix pertinentes de la société civile s’engagent plus fermement en faveur de ces objectifs afin de relancer la progression vers un monde sans armes nucléaires.
[1] Pour une analyse détaillée sur le contrôle des armes nucléaires et ses problèmes actuels, voir : Götz Neuneck: The Deep Crisis of Nuclear Arms Control and Disarmament: The State of Play and the Challenges in : Journal for Peace and Nuclear Disarmament 2019, 2(2): 431-452.
[2] L’ « International Partnership for Disarmament Verification » (IPNDV) développe une base de connaissances et de ressources sur la surveillance et la vérification de la destruction des ogives nucléaires. Il contribue à la compréhension des défis impliqués dans la vérification durable du futur désarmement nucléaire. Voir: www.ipndv.org
[3] De nombreuses voix d’anciens politiciens qualifiés, de groupes de la société civile et d’institutions mettent en garde contre le danger croissant d’une guerre nucléaire.
[4] Voir par exemple: Wilfred Wan (ed.) Nuclear Risk Reduction. Closing pathways to Use, UNIDIR 2020 https://www.unidir.org/publication/nuclear-risk-reduction-closing-pathways-use
[5] Voir European Leadership Network/King´s College London: The P5 Process. Opportunities for Success in the NPT Review Conference, June 2020. https://www.kcl.ac.uk/csss/assets/the-p5-process-opportunities-for-success-in-the-npt-review-conference.pdf
En date du 14 décembre 2020, 86 États ont signé le traité et 51 l’ont ratifié[35].
État | Signature | Ratification |
20 septembre 2017 | 25 février 2019 | |
20 septembre 2017 | ||
27 septembre 2018 | ||
26 septembre 2018 | 25 novembre 2019 | |
20 septembre 2017 | 8 mai 2018 | |
20 septembre 2017 | 26 septembre 2019 | |
6 février 2020 | 19 mai 2020 | |
26 septembre 2018 | 11 décembre 2020 | |
16 avril 2018 | 6 août 2019 | |
26 septembre 2019 | 15 juillet 2020 | |
20 septembre 2017 | ||
26 septembre 2018 | ||
9 janvier 2019 | ||
20 septembre 2017 | ||
20 septembre 2017 | ||
3 août 2018 | ||
20 septembre 2017 | ||
20 septembre 2017 | ||
20 septembre 2017 | 5 juillet 2018 | |
20 septembre 2017 | ||
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26 septembre 2019 | 18 octobre 2019 | |
20 septembre 2017 | 25 septembre 2019 | |
20 septembre 2017 | 7 juillet 2020 | |
20 septembre 2017 | 26 septembre 2018 | |
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