24 JANVIER 2022
tags: France, Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), désarmement nucléaire, énergie nucléaire, armes nucléaires
par IPPNW
par Angelika Claussen
Au tournant de l’année, la France assume la présidence du Conseil de l’Union européenne. Et la semaine dernière, les ministres de la Défense de l’UE se sont réunis de manière informelle pour parler de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Entre autres questions, ils ont discuté de la sécurité nucléaire et des stratégies de dissuasion nucléaire.
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Ces dernières années, le président Français a été un ardent défenseur de l’énergie nucléaire. Historiquement, le développement indépendant par la France de la technologie nucléaire pour les armes atomiques a été une source importante de fierté nationale. Depuis les années 1990, cependant, l’énergie nucléaire a diminué à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Les rapports annuels de Mycle Schneider, consultant international en matière de politique énergétique et nucléaire, montrent que cela fait partie d’une tendance mondiale. Néanmoins, la France continue d’être un défenseur infatigable de cette technologie.
Réponses nucléaires pour l’énergie verte et les armes
Le 1er janvier 2022, un projet de règlement de la Commission européenne a classé les investissements dans l’énergie nucléaire et le gaz naturel comme durables. Il s’agit de milliards d’euros de soutien financier dans ce que l’on appelle la taxonomie de l’UE. Emmanuel Macron souhaitait acquérir un « Label vert » pour l’énergie nucléaire. Les intérêts réels de la France en matière d’énergie nucléaire ont émergé clairement dans un discours prononcé par Macron lors d’une visite à l’installation le Creusot de Framatome en 2020: Comment la France écoblanchit les armes nucléaires reste vrai pour tous les États dotés d’armes nucléaires.
À l’heure actuelle, ces États modernisent leurs arsenaux. La Russie et les États-Unis se procurent de nouveaux vecteurs – tels que des missiles hypersoniques – qui seront en mesure de lancer leurs bombes nucléaires beaucoup plus rapidement et avec plus de précision, ne laissant pas à l’ennemi le temps de se défendre. Ainsi, une nouvelle course aux armements nucléaires a commencé.
Le groupe de réflexion américain Atlantic Council est assez ouvert sur la façon dont il considère l’utilisation civile de l’énergie nucléaire comme étant pour la politique de sécurité nationale: l’industrie nucléaire civile américaine est un atout stratégique américain d’une importance vitale pour la sécurité nationale américaine. Des formulations similaires peuvent être trouvées dans les discours d’autres présidents d’États dotés d’armes nucléaires. Son complexe nucléaire civil coûte aux États-Unis au moins 42,4 milliards de dollars par an. La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN)affirme que tous les États dotés d’armes nucléaires investissent ensemble plus de 100 milliards de dollars par an dans leurs arsenaux d’armes nucléaires.
La France, elle aussi, veut se joindre au développement technologique en cours dans d’autres États dotés d’armes nucléaires depuis un certain temps. Le président Macron a annoncé un investissement d’un milliard d’euros dans la recherche et la construction de petits réacteurs modulaires (PRM). Les PRM sont de petits réacteurs nucléaires qui doivent être utilisés principalement pour la propulsion sous-marine et donc à des fins militaires sur des théâtres de guerre éloignés. Les nouveaux sous-marins de classe Hunter soulignent les ambitions de grande puissance de la France. Cela doit être compris dans le contexte de l’effondrement de l’accord sur les sous-marins avec l’Australie. L’année dernière, l’Australie a annoncé qu’elle annulait son contrat d’achat de sous-marins diesel Français en faveur de la technologie nucléaire américaine et britannique.
Les systèmes d’armes nucléaires flexibles basés sur des sous-marins ont une importance stratégique majeure pour tous les États dotés d’armes nucléaires. Ils ont la capacité d’aller jusqu’à trois mois sans faire surface. Ils peuvent couvrir de grandes distances à des vitesses élevées sans être détectés et faire surface presque où ils veulent autour du globe. Ils sont capables de lancer jusqu’à 20 missiles, chacun avec une douzaine d’ogives guidées individuelles. Tout cela joue un rôle clé dans la doctrine des armes nucléaires des cinq États « officiels » dotés d’armes nucléaires, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la France et la Chine. Dans le même temps, la possession de cette technologie sous-tend le statut de grande puissance de ces pays. La France, comme les autres États dotés d’armes nucléaires, tient à consolider son statut.
Exposer l’ordre du jour de l’Energie nucléaire française
La première réunion des ministres de la défense de l’UE sous la présidence Français du Conseil s’est tenue les 12 et 13 janvier 2022 à Brest. C’est là que sont stationnées les armes nucléaires maritimes de la France, ce qui en fait une démonstration claire de sa puissance militaire. Dès son discours de 2020 au Creusot, le président Français a confirmé les ambitions militaires de son pays : « l’industrie nucléaire restera la pierre angulaire de notre autonomie stratégique. Il affecte tous les aspects de la dissuasion, en alimentant nos sous-marins nucléaires, nos sous-marins pour lancer des missiles balistiques et en alimentant nos porte-avions nucléaires.
Derrière la modernisation prévue de l’énergie nucléaire française, prétendument pour assurer une électricité moins chère, se niche l’agenda de son programme d’armes nucléaires. Depuis des années, l’État impose les coûts exorbitants de son industrie nucléaire civilo-militaire au public Français. Les coûts de construction du réacteur à eau pressurisée de Flamanville, par exemple, se sont élevés à 19,4 milliards d’euros. En fin de compte, les clients et les investisseurs en électricité subventionnent les applications militaires avec une « énergie nucléaire économe en climat ».
L’énergie nucléaire et le partage nucléaire sont controversés dans l’Union européenne. L’Autriche et le Luxembourg ont vivement critiqué la taxonomie de l’UE. Dans le même temps, il existe un traité multilatéral de l’ONU interdisant les armes de destruction massive depuis le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires du 22 janvier 2021.
Quoi qu’il en soit, alors que la France prend la présidence du Conseil de l’UE, elle est désormais parfaitement placée pour promouvoir l’utilisation civilo-militaire de l’énergie nucléaire et une stratégie européenne de sécurité et de défense, fondée sur la doctrine de la dissuasion nucléaire.
Dr. Claussen est vice-président régional de l’IPPNW pour l’Europe. Cet article a été initialement publié dans l’IPS Journal.